Critiquer

Trois fois la fin du monde

 

Question critique littéraire, je suis hautement partisan du défonçage de gueule. En clair, je ne vois pas l’intérêt de balancer de l’éloge, de sortir le dithyrambique poussiéreux du placard et de l’en polichiner pour faire bander l’auteur jusque là. Pas le moindre intérêt. Tandis que briser du style au marteau, percer les points noirs d’une intrigue qui n’était que fardée de cosmétiques illusionnistes, ces syphilitiques histoires infestées de plagiat et autre MLT (voyez ici Maladie Littérairement Transmissible), ça c’est bandant ! À vous en faire pleurer l’auteur et sa famille. Ça c’est jouissif !

Et pourtant… et pourtant, dis-je, je me vois contraint, malgré moi et mes petites marottes dévastatrices, je me vois contraint d’en faire, de l’éloge. Le fait est là : Je suis tombé par hasard (hasard ou bonne médiation, qui peut savoir ?!) sur une chose extrêmement rare à notre époque et dans notre pays. Comparable au chercheur d’or dans sa rivière qui, après trois semaines à ne bouffer que des pâtes, tombe enfin et miraculeusement sur la pépite dont il rêve la nuit, de la même façon je me suis retrouvé comme un con devant ce truc … un bon livre, ma caille ! Un bon livre français en plus de ça ! Ce qui est surprenant car si personne ne l’a encore remarqué, la littérature française est malade. Pire que ça, certains disent qu’elle est morte, et je suis presque de ceux-là. Disons que je me tâte à la débrancher, la mère. Tout le monde s’en cogne mais moi ça me fout tellement les foies, cette histoire, que je vais pousser un long hurlement d’indignation, là maintenant, lequel vous apparaîtra sous la forme d’une phrase longue comme un jour sans pain. Prenez une grande inspiration, ça arrive juste là. Car pendant que les auteurs des pays modernes comme les États-Unis ou le Chili ont compris (et peaufiné !) l’intérêt de dire stop à l’onanisme juteux face aux tropes hideux que sont l’emphase, l’utilisation excessive de métaphores, la sur-distribution d’adjectifs à en gerber, sans compter le choix méticuleux d’un vocabulaire incompréhensible pour le commun des mortels, les Français, eux, réactionnaires et coincés du troufignon, ont fait tout le contraire. Préservons la pudibonderie stylistique, soyons élitistes et surtout, surtout, ne laissons pas les mots étrangers rentrer dans notre lexique, ils risqueraient de piquer notre travail … -hein?!

Celui qui sera attentif comprendra que je m’égare, puisqu’on parlait, souvenez-vous en, d’une pépite ! D’une pépite française, et je dirais mieux : d’une pépite féminine ! Aha ! Ça vous en bouche un coin, de tels rebondissements. Ainsi, sans plus attendre je vous nomme, mesdames-messieurs, Sophie Divry !

Avec sa dernière sortie, Trois fois la fin du monde publié chez Notabilia, l’écrivaine m’a retourné la bidoche. Le topos : un gars d’une vingtaine d’année, Jo, se fait enfermer au mitard suite à un cambriolage. Tu suis l’enfermement à la dure du petit Jo dans une prison qui ne ressemble pas bien à l’idée qu’on se fait de la tôle en France. Ça c’est la première partie. Comme son nom l’indique, l’histoire est ficelée par trois axes primordiaux qui ressemblent à des petites fins du monde, à des petites morts en somme. La première c’est donc la prison, la partie du livre la plus difficile à lire puisque à chaque péripétie t’as qu’une envie c’est de faire un câlin à ta mère. Elle n’y est pas allé mollo, Divry, du côté du pathos. À côté de ça la Religieuse de Diderot n’a qu’à se rhabiller. Alors bon, je vous vois venir, le coup de la prison et des déboires, de l’empathie qu’on peut avoir pour un jeune personnage qui en prend plein la poire entre quatre murs … c’est vu, vu et revu. On en bouffe à la pelle que ce soit en bouquin ou à la télé ou même sur le grand écran. C’est d’ailleurs ce que je me suis dit, en lisant les terribles afflictions du petit Jo. Et puis BOUM ! Tu t’y attends pas, ni vu ni connu et sans savoir pourquoi, changement de fin du monde, la Divry te cale une catastrophe nucléaire sortie des profondeurs de son imaginaire. Tac ! Le temps d’un moment on pense même ne jamais revoir ce bon vieux Jo. Seulement, héhé, on le retrouve ! Et pas n’importe comment car le voilà seul être humain à avoir survécu à la catastrophe. À partir de là, le livre prend une toute autre allure. À la manière de Robinson Crusoé, on suit l’ennui mortel d’un gars seul au monde. Bon, je ne dis pas, sur la fin on commence vraiment à se faire chier et on se dit, les pages restantes entre le pouce et l’index, que ce n’est pas si mal, finalement, qu’il soit aussi fin que ça ce bouquin. Pourtant, mystérieusement, on se complaît à suivre la solitude de Jo, à s’emmerder avec lui. Ça doit être ça, être un bon écrivain.

Stylistiquement on ne peut qu’applaudir la performance. L’auteur oscille entre un point de vue interne et externe, faisant de sa narration tantôt les paroles schizophrènes de Jo, tantôt la parole d’un narrateur dont on devine l’omniscience mais qui ne dévoile rien, plutôt portée sur la description de la cambrousse que sur le dévoilement de l’intrigue. À ce qu’on en reconnaît, Jo vient de la téci. C’est plaisant à lire, ça rend le personnage plus vivant que jamais. Ça contraste d’ailleurs pas mal avec le côté poétique du second narrateur, qui nous fait de la poésie libre des plus bucoliques, dont je ne pourrais que noter l’habilité à ne pas tomber dans le cliché. Mais, puisqu’il faut rendre à Brutus ce qui est à César, je voudrais rappeler un petit truc à Madame Divry. ON EST PAS AU PUTAIN DE XVI EME SIECLE ! Sans dec, la poésie sur le retour du printemps, tu crois pas que ton lecteur et toi vous valez mieux que ça ? Eh ! Ça doit être le côté français qui transpire. Aussi, je dois dire qu’on reste un peu sur notre fin, mais je m’en voudrais de spoiler les Sanatien(ne)s.

Sur ce, je récapitule et m’en retourne picoler :

Trois fois la fin du monde : Court, surprenant, efficace, agréable, doux, un peu chiant parfois, décevant sur la fin, mais qui remporte une note de 7 sur 10, ce qui vaut le coup d’être acheté plus ou moins le même prix, si vous voulez mon avis.

À la vôtre.

You may also like...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.