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L’envers du livre

Il y a quelques mois se tenait, en même temps que la énième édition de l’inévitable Livre Sur la Place, la 4ème édition d’un festival moins gargantuesque mais tout aussi intéressant, l’Enfer du Livre (qui n’a d’infernal que le patronyme).

L’histoire commence il y a quelques années et, comme souvent dans le milieu culturel, par le constat d’un manque, en termes de micro-édition cette fois. Le mot peut sembler barbare mais il désigne simplement toutes les formes d’édition en petits tirages, indépendantes des gros groupes, souvent faites main, parmi lesquelles entre autres la sérigraphie, la linogravure, la typographie manuelle, etc. Pour Sophie Lécuyer, l’une des fondatrices du projet, « C’est un vrai objet artistique à créer ; parce que tu choisis ton papier, tes encres, la tête de ton bouquin. Il n’y a pas seulement le contenu à penser et du coup on peut s’amuser à faire coller le fond et la forme, c’est tout l’enjeu. Il n’y a pas vraiment de règles, si ce n’est que tout est possible. »

Olivier Bourgois, sérigraphe et graphiste, membre de Spray Lab, décide en 2015 de pallier ce manque. Pour ça, il s’entoure de quelques passionnés : Nathalie Bonafé, graphiste dans le spectacle vivant, Sophie Lécuyer, illustratrice en gravure et sérigraphie, et Franck Wouts, passionné de narration séquentielle d’images et grand cinéphile, puis quelques années plus tard de Zoé Touron, illustratrice de bande-dessinée. Comme beaucoup de beaux projets dans les années 2010, celui-ci a été sauvé par internet. À grand renfort d’Ulul, ils parviennent à trouver les fonds nécessaires pour une première édition, avant d’être épaulés par la DRAC et la ville pour les suivantes.

Quand la question du lieu se pose, l’hésitation n’a pas sa place. La MJC Lillebonne s’impose à eux comme une évidence, du fait de son histoire avec la micro-édition (ateliers de gravure et de sérigraphie y ont toujours eu leur place), mais surtout parce que le lieu fait clairement rêver ! « On ne l’voyait pas ailleurs de toute façon ce truc-là. » appuie Franck Wouts. Avantage non-négligeable ; elle se situe à deux pas du Livre sur Place, par rapport auquel ils souhaitent se positionner, non pas en opposition mais comme un complément. Là où ils n’ont pas su trouver leur place, ils se la sont créée. Et avec brio !

Le 11 septembre 2015, le premier salon de micro-édition de Lorraine voit enfin le jour. Une quinzaine de collectifs des quatre coins de la France et même de l’Europe sont au rendez-vous pour présenter leurs œuvres et leurs techniques à un public enthousiaste. La machine est en route et les éditions se succèdent avec toujours de nouveaux artistes jusqu’à la quatrième du 7 au 9 septembre 2018 la première à laquelle SANAT a eu le plaisir d’assister.

Quand on pose un premier pied dans la cour de la MJC, le ton est donné : stand de goodies estampillés « L’amour est un chien de l’enfer » en référence au recueil de nouvelles du sulfureux Bukowski et bien sûr à leur propre nom. Un bar servant de la bière locale, des illuminations enguirlandées et un dj set par deux nanas aux allures pharaoniques : de quoi bien finir l’été. On vagabonde dans les étages entre les stands des Nancéiens de Spraylab et MyMonkey, des Strasbourgeois du collectif Tardigrade, des Marseillais de La Générale Minérale, des Tournaisiens (Belgique) du 38 Quai Notre Dame et bien d’autres encore. Petites emplettes et grandes découvertes, on redescend des étoiles plein les yeux s’essayer à la typographie traditionnelle, pour finir dans les sommets devant une démonstration de gravure.

Parmi les spécialistes, les amateurs, les buveurs et les danseurs, satellitent une poignée d’enfants. On comprend vite l‘enthousiasme des mômes, qui se jettent sur les différents ateliers. « On est contents de voir qu’il y a un jeune public qui vient sur l’Enfer, c’est un peu ce qui manque au Livre sur la Place, précise Sophie. Chez nous, il y a un vrai attrait pour eux. Notre but, c’est qu’ils rentrent chez eux avec des images plein la tête et des trucs qu’ils ont fait eux-mêmes. » D’ailleurs, au-delà du côté ludique, la micro-édition pourrait se rapprocher de l’édition jeunesse étant donnée la prédominance de l’illustration et la grande liberté qu’elle permet.

Évidemment, ce n’est pas la forme d’édition la plus rentable qui soit… Loin de se décourager, les acteurs de la micro-édition du coin préfèrent tout miser sur le partage. Entre conseils, échanges de contacts et de bons procédés, partage de matériel, le milieu ressemble vraiment à une petite famille. Et cette pratique s’étend bien au-delà des frontières de la région Grand-Est.

Pas de panique donc, la micro-édition reste à flots et une 5ème édition de L’Enfer du livre devrait bien voir le jour. Anniversaire oblige, une sorte de Best Of des 4 premières éditions pourrait bien se dérouler, toujours à la MJC Lillebonne bien sûr. Petit plus qu’on risque de trouver, des projections de films faits main à base d’illustrations, comme celui sur lequel travaille Sophie Lécuyer avec ses gravures, histoire de bien nous montrer que le papier c’est fantastique.

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